« Un homme de paix dans une époque qui se délite ». L'historien, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio, retrace douze années de pontificat vécues sous le signe du dialogue, de la fraternité et de la proximité avec les plus petits : « François n'était pas un homme politique, mais sa politique était celle de la miséricorde »
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Ma première pensée est une profonde douleur personnelle : parce que je le connaissais bien et que je l'estimais. Je l'ai connu comme évêque de Buenos Aires, à une époque où l'on se demandait comment l'Église pouvait être présente dans une grande ville et surtout dans ses périphéries. Il a été un grand pape d'une manière très particulière. François a semé beaucoup, dans différentes directions, en sollicitant aussi la collaboration de l'Église et une réception de ses intuitions et de ses prophéties. Cette collaboration n'a pas toujours été au rendez-vous car le pape a été contesté et certaines de ses demandes sont tombées dans l'oreille d'un sourd. Mais aujourd'hui, tout le monde ressent un grand vide. Car Bergoglio est un homme qui a dit beaucoup de choses à notre monde. Et surtout, c'est une personnalité qui a représenté le bien et la paix, de manière incontestée. Or en cette période de conflit, dans un monde divisé et brisé, il représentait une référence sûre.
Le langage et les signes de François. Sa capacité à rassembler les gens dans un monde qui s'éloigne du message chrétien ?
Bergoglio n'a pas été un évangélisateur isolé, il a été le témoin d'une foi communiquée et d'une humanité bonne. Le véritable manifeste du pontificat de François est Evangelii Gaudium, qu'il faut relire car ce projet d'Église est aussi un testament. Il avait rêvé d'une Église en sortie, capable d'être au milieu des hommes et des femmes de notre temps. Je pense que cela n'a été que partiellement réalisé à cause des paresses et des résistances qui se sont présentées. Mais tout cela reste comme un leg de son grand héritage. Bergoglio a été un homme véritablement missionnaire dans un sens nouveau. Un missionnaire expert en humanité.
Dialogue avec le monde séculier et proximité avec le monde lointain
En ce temps liquide, il existe un monde de croyants et de « croyants à leur manière », de laïcs spirituels. Les barrières entre laïcs et catholiques n'existent plus. François a fait preuve de clairvoyance en considérant qu’une Eglise de purs et durs était dépassée. Au contraire, il a voulu une Eglise comme peuple aux frontières ouvertes et jamais fermées, sachant saisir cette lueur de foi et surtout d'amour qui existe en chacun de nous. Je pense que c'est ce que François a été : un briseur de murs qui a su vivre dans notre époque liquide, représentant un roc pour notre foi.
Un jugement historique sur le pontificat de François. Comment se souviendra-t-on de lui à l'avenir ?
C'est le pape qui a réalisé l'Eglise des pauvres. Pour cette raison que par le passé, la relation avec les pauvres a souvent été déléguée à des institutions d'aide sociale. François a placé les pauvres au centre de l'Eglise, il a parlé de « toucher les pauvres » comme d'une expérience humaine et spirituelle à part entière. Il n'a pas été un pape politique, mais sa politique a été celle de la fraternité et du dialogue. Je pense à cet extraordinaire document qu'est « Fratelli tutti », un programme de fraternité entre les peuples et les religions. Une véritable encyclique de la paix. Si nous l'avions lue et écoutée, le monde ne serait pas autant en guerre. Et puis le grand dialogue avec les religions. Quand il a été élu, le monde chrétien était en grande difficulté avec l'islam et François a réussi à construire une plateforme remarquable avec le document sur la fraternité entre chrétiens et musulmans à Abu Dhabi. Puis il y a eu d'autres moments fondamentaux avec le monde chiite, comme la rencontre avec Al Sistani et l'imam d'Al-Azhar. Dans une période difficile et compliquée, François a réussi à construire des relations extrêmement positives avec l'Islam. Et je n'oublierais pas sa foi en la médecine et la science avec sa vaccination personnelle contre le Covid. Dans cette période marquée par l'image qui restera à jamais : celle d'un pape seul, sur une place Saint-Pierre vide, battue par la pluie, à Pâques 2020 devant Jésus en croix.
[traduction de la rédaction]
[ Luca Rolandi ]